L’espace au service du maritime

L’Agence Spatiale Européenne encourage l’utilisation des données spatiales : routage, géolocalisation, observation, communications, elles ouvrent de nouvelles possibilités au transport maritime. Avec l’incubateur ESA BIC Nord France, l’agence accompagne et accélère les projets liés au spatial.

« La volonté de l’ESA* et du CNES* est de développer l’utilisation des données des satellites Copernicus pour l’observation et Galileo pour la navigation, de créer de la richesse dans d’autres secteurs d’activité ». Alexia Freigneaux est chef de projet pour l’ESA BIC Nord France*, l’un des 24 incubateurs de l’Agence Spatiale Européenne créés en 2018. La région Nord France inclut notamment la Bretagne, gérée par le Technopôle Brest Iroise. « Nous entendons la volonté des armateurs et des ports de réduire leur impact sur l’environnement et la consommation des navires : cela passe par l’optimisation du routage. De plus en plus de satellites fournissent des données intéressantes : température de la mer, vents, vagues, courants… » En couplant les données de géolocalisation et d’observation, l’objectif est de mieux guider les navires vers les meilleurs itinéraires.

Utiliser les courants pour améliorer le routage

Créé en 2015, eOdyn s’est spécialisé sur les courants marins : « la technologie unique que nous avons développée utilise les données satellites pour observer les courants à l’échelle de la planète en quasi temps réel, tout en analysant le comportement et la dérive des navires » précise Yann Guichoux, président d’eOdyn à Plouzané (29). Détecter les structures tourbillonnaires pour la Marine dans la lutte anti sous-marine, identifier les courants extrêmes pour les opérations en mer des énergies offshore, sélectionner les meilleures routes maritimes : « les applications sont multiples, et on estime que l’utilisation des courants peut faire économiser 5% de carburant ». L’entreprise, accompagnée par l’ESA BIC Nord France, collabore également avec la communauté scientifique, de l’Ifremer au SHOM, afin de mieux comprendre le comportement des océans.

Faciliter l’utilisation des données spatiales

Les données spatiales sont transversales intéressent de multiples secteurs d’activité : agriculture, santé, environnement, logistique ou bien-sûr transport maritime. Pour accélérer leur usage, l’ESA BIC Nord France accompagne les start-up comme eOdyn, en lien avec le spatial : « celles qui utilisent les données de géolocalisation, la communication satellite ou l’observation et qui représentent 75% des entreprises accompagnées. Les 25% restant concernent les entreprises spatiales : nouveaux lanceurs, technologies appliquées au spatial, etc. Des projets souvent plus lourds et plus compliqués à mettre en œuvre », précise Alexia Freigneaux. En Bretagne, l’ESA BIC Nord France suit 5 entreprises du Finistère, dont 4 du secteur maritime : « une spécificité locale qui représente bien la région ». Et avec le lancement de nouveaux satellites, le potentiel de développement est énorme : « le spatial peut apporter beaucoup, notamment pour baisser l’impact de nos activités sur l’environnement ».

www.esabicnord.fr / www.e-odyn.com

*ESA :  European Space Agency

CNES : Centre national d’études spatiales

ESA BIC : ESA Business Incubation Center

Nouvelles propulsions : plus propre, plus loin ?

Utiliser le vent pour le transport maritime ? Une idée simple, et finalement séculaire : la voile a de tout temps été l’outil privilégié des compagnies marchandes. A l’heure des technologies intelligentes et des nouveaux matériaux, revenir à la propulsion vélique s’avère d’une étonnante modernité et permettrait de franchir un pas décisif vers la décarbonation. Innovante en la matière, la Bretagne a déjà lancé les bases d’une filière propulsion par le vent. Le point avec Carole Bourlon, de Bretagne Développement Innovation BDI, et Stéphane Pennanguer de la Région Bretagne.

« Le transport maritime concerne 90% des marchandises et est responsable de 3% des émissions de GES*. Les objectifs de l’OMI sont clairs : réduire les émissions de 30 % d’ici 2030, et de 50% en 2050 ». C’est ce constat, rappelé par Carole Bourlon de BDI, qui a appelé à développer des solutions décarbonées. « Il est urgent d’agir, et l’augmentation des prix du carburant a encore accéléré les choses, complète Stéphane Pennanguer, de la Région Bretagne : le transport maritime propulsé par le vent est porteur et économiquement viable ». S’appuyant sur le modèle de Grain de Sail, qui transporte du café et du chocolat à la voile, ou de l’association Wind Ship, qui œuvre à accélérer la transition vers la propulsion vélique, BDI et la Région ont lancé fin 2021 la structuration d’une filière à l’échelle de la Région. « Nous avons en Bretagne une avance technologique, et un écosystème favorable, notamment avec la Course au Large, qu’on veut transformer en filière industrielle » selon Carole Bourlon.

L’atout breton

61 entreprises déjà actives sur le secteur, 100 attendues d’ici 2 ans, 28 M€ de chiffre d’affaires : l’étude menée par BDI montre que le transport maritime à la voile est une réalité en Bretagne, avec des opportunités de développement. Selon Stéphane Pennanguer, « on peut distinguer deux grands atouts : les technologies et compétences liées à la Course au large et un réseau de grands ports et de ports secondaires ». La Bretagne peut donc accélérer la décarbonation de son territoire, et proposer des solutions industrielles de niveau mondial. « L’objectif est double : développer les lignes et les volumes du transport maritime vélique, et établir en parallèle des lignes secondaires de produits à forte valeur ajoutée, par exemple vers les îles. L’impact du cabotage peut être fort en local ». L’intérêt pour la propulsion vélique s’accélère et la Bretagne est très attractive : « depuis le lancement en novembre nous échangeons de façon très régulière avec une trentaine d’entreprises » pointe Carole Bourlon. Si les idées, les acteurs et les projets ne manquent pas, reste à les mettre en musique via une feuille de route de la Région attendue d’ici quelques mois pour définir une stratégie. « Dans l’idée aussi d’une complémentarité avec d’autres vecteurs énergétiques comme l’hydrogène ».

 *gaz à effet de serre / Organisation maritime internationale

Transport maritime : vers la décarbonation et l’innovation

Des transports moins polluants et plus engagés ? Les instances réglementaires comme les opérateurs s’accordent sur cet objectif impératif à moyen terme. Le point avec Magda Kopczynska, Directrice du transport maritime à la DG MOVE* et Jean-Marc Roué, président du Conseil de surveillance de Brittany Ferries.

Quel est l’enjeu du transport maritime pour la Commission Européenne ?

Magda Kopczynska : Les transports jouent un rôle essentiel dans le marché unique et la libre circulation des biens et des personnes. Le transport maritime représente 80% du commerce mondial et 400 millions de passagers par an. La DG MOVE soutient la compétitivité, la sécurité et la transition environnementale et numérique du secteur, notamment via la législation européenne. La DG MOVE s’appuie sur l’aide technique de l’AESM* et coordonne l’action des états de l’OMI*.

Pouvez-vous rappeler l’activité et le poids de Brittany Ferries ?

Jean-Marc Roué : L’entreprise fête ses 50 ans cette année : 50 années à développer des lignes maritimes régulières entre territoires périphériques. Au départ de Calais vers l’Angleterre, entre la Bretagne et l’Irlande, entre le Royaume-Uni et l’Espagne… Aujourd’hui, nous transportons 2,5 millions de passagers dont 80% de Britanniques et à 95% motorisés. Notre flotte compte 11 navires, le 12ème est en cours d’essai pour une livraison en 2023. Nous assurons également le transport de véhicules industriels accompagnés ou non : tracteurs, poids-lourds, remorques, à raison de 200 000 par an. Brittany Ferries est devenu le premier employeur de marins français.

Quelles sont vos visions sur les engagements pris au One Ocean Summit et à la conférence des Nations Unies de Lisbonne ?

Magda Kopczynska : Nous nous réjouissons de la prise de conscience des états et des organisation internationales sur les enjeux de protection des océans, et de leurs engagements à agir concrètement. Ils complètent les mesures de l’Europe pour favoriser la transition écologique du transport maritime, plus particulièrement sur le déploiement de carburants alternatifs, y compris à quai. Nous souhaitons élargir cette politique européenne au niveau de l’OMI. Nous luttons également contre la pollution marine issue du transport : installations portuaire de réception des déchets, sanctions contre les rejets polluants…

Jean-Marc Roué : Nous avions besoin d’un cadre.Le shipping est moins visé que l’aérien car il représente 3% des émissions pour 80% des marchandises transportées. Mais l’OMI s’organise pour améliorer les choses, notamment avec la mise en place d’un indice d’émissions au mille nautique, et pas à la tonne transportée. Avec cet indice, il faudra renouveler ou améliorer les bateaux.

Comment accompagner la décarbonation du transport maritime ?

Magda Kopczynska : Conformément au Pacte Vert européen, la Commission a proposé des mesures visant à atteindre 55% de réduction des GES d’ici 2030. Pour le transport maritime, la DG MOVE a lancé 2 initiatives : le règlement sur l’utilisation de carburants alternatifs et celui sur les infrastructures associées. Dans le contexte international, nous coordonnons les efforts des Etats européens pour revoir à la hausse les ambitions et l’adoption de mesures concrètes.

Jean-Marc Roué : Nos navires vont naviguer pendant 35 ans. Quand on a commandé le Salamanca, on a choisi un moteur au GNL (gaz naturel liquéfié) et capable d’utiliser le méthane vert : une solution évolutive. Pour le prochain navire de 2023, nous avons couplé propulsion GNL et électricité pour manœuvrer dans les ports sans combustion, sans bruits, sans pollution. Côté fret, nous avons lancé une ligne ferroviaire pour assurer la continuité avec le bateau : 980 km safe carbone vers l’Angleterre et l’Irlande. Nous sommes des vendeurs de rêve et de plaisir, nous devons être capables d’aller plus loin que la réglementation.

Votre regard sur des organisations comme le Campus Mondial de la Mer ?

Magda Kopczynska : Les organisations comme le Campus Mondial de la Mer, rassemblant différents acteurs de l’industrie, de la recherche, des autorités locales, favorisent les partenariats et les rencontres fructueuses qui nourrissent les consultations européennes. Elles aide également à la bonne mise en œuvre du cadre réglementaire européen et à l’intégration concrète des politiques européennes au niveau local.

Jean-Marc Roué : Nous évoluons en Europe et nous bénéficions du réseau pour nous accompagner dans la décarbonation. Avec 500 M€ de CA, nous n’avons pas d’équipe R&D, nous travaillons avec des partenaires du Campus Mondial de la Mer. Et nous bénéficions de l’expertise de nos prédécesseurs, comme CMA CGM qui utilise déjà le GNL et a formé nos équipes. On y gagne à travailler ensemble !

*Direction générale de la mobilité et des transports de la Commission Européenne

Agence européenne de sécurité maritime